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Le blog gastro
12 mai 2005

Par-dessus l'épaule

Le journaliste gastronomique est soumis comme les autres à la misère de la presse: piges payées un peu pour plusieurs semaines de travail, piges non payées, journaux aux lancements repoussés, en quête de financement...la précarité du spectacle, la gastronomie est un spectacle. Alors là, quelques réflexions d'un cordon bleu local, rencontré récemment. André Schetritt habite à Saint-Juvat, dans le Finistère, et il reçoit à sa table d'hôtes des convives qui, pour 17 euros apéritif+plat+dessert+vin+digestif+tisane, vivent le bonheur sur terre. Il connaît les meilleures tables de France, et il n'y va pas avec le dos de la cuillère: "J’ai aucune prétention et je ne veux surtout pas qu’on me note, on n’est pas à l’école, je ne comprends pas comment ces grands artistes que sont certains chefs puissent permettre à d’autres de les noter comme si ils étaient à l’école. C’est se laisser infantiliser à la fois par les clients et par les guides, ça doit être un rapport spontané, et ça ne m’intéresse pas qu’on compare ma cuisine à celle d’un autre, parce que ce n’est pas mon but. Comme disait Brassens, à propos de ses chansons : « si le public en veut, je les sors dare dare, s’il n’en veut pas, je les remets dans ma guitare. » On n’a pas envie de se dénaturer uniquement pour satisfaire les clients, ils viennent chez nous, ils mangent notre cuisine, on les reçoit de bon cœur, si on leur convient pas, on leur en veut pas du tout, mais c’est chez nous." Et il va plus loin : « il faut forcer les gens à avoir des goûts éclectiques, à sortir de leur routine au niveau des goûts, je crois qu’il y a une dictature de la mode, de la décoration, de l’esthétique, qui mène à la seule décoration. Et l’obsession de la décoration, c’est de vider la substance. C’est comme les gens qui achètent un tableau parce que les couleurs vont avec leur canapé. » Sur l'évolution de la restauration :"Dans la plupart des restaurants, on s’emmerde à mourir, c’est d’une tristesse…J’étais un grand fanatique des grands restaurants, de la cuisine, je courrais partout, à l’époque où il n’y avait pas un chef qui ressemblait à l’autre, et puis depuis que dans le monde entier on peut manger la même cuisine de haut de gamme, qu'on a macdonaldisé la cuisine de haut de gamme, avec les mêmes assiettes, les mêmes décors, le même regard sur la cuisine, on s’ennuie à mourir. Et ce que je déteste, c’est qu’on se moque de la nourriture industrielle, alors qu'on ne sait plus ce qu’on a dans l’assiette, tout étant découpé en filets, y’a plus d’os, y’a plus d’gras, y’a pus d’arêtes. Je connais beaucoup d’adultes très riches, qui vont dans ces grands restaurants, et qui n’ont jamais vu un bar, une lotte ou un maquereau, parce qu’ils n’achètent que des filets, pareil pour le bœuf. Et ce sont ces gens qui font la loi. Pour s’extasier en allant manger des légumes cuits à la vapeur, faut quand même être un con ! Ce que vous pouvez faire pour dix francs à la maison, vous allez payer 300 francs pour le manger…c’est pas de la création, de même toutes ces modes de cuisine aux fleurs et aux épices, tous ces trucs que la moindre mémère fait tous les jours dans les hameaux près de chez nous, et elle se prend pas pour un trois étoiles Michelin. La cuisine, ça ne consiste pas à servir des produits nature, parce que tout le monde peut faire ça chez soi. La création, ça consiste à transformer complètement ces produits, tout en gardant leur goût. Sinon, il n’y a aucune alchimie, aucune créativité. Toute la grande cuisine et les grands guides ont fait disparaître le goût, parcequ’ils ont imposé une dictature de la diététique, une dictature du naturel, une dictature du facile, du prémaché, y’a plus de formes, y’a plus de mélanges, y’a plus de sauces, les cuissons sont toutes les mêmes dans le monde entier, en particulier pour le poisson, qu’on cuit au thermomètre, toujours à même température. C’est pas Mc Do qui a fait disparaître le goût, parce que les gens qui aimaient les bonnes choses, ils ne vont pas chez Mc Do. McDo a seulement exploité le goût des pauvres, parce qu’ils n’ont pas d’éducation. Et ceux qui avaient une éducation du goût l’ont perdue." Et après cette mise au point, pour se faire plaisir, la recette de l'épaule d'agneau confite d'André: Demandez au boucher d'enlever la palette (l'omoplate) de l'épaule. Farcissez la cavité ainsi créée avec de la saucisse fraîche, de la mie de pain, des lardons, du thym et du romarin (cette farce riche va donner du gras, qui va empêcher que la viande ne sèche de l'intérieur lors de la cuisson). Mettez l'épaule au four à feu moyen (thermostat six, environ 180 degrés), pendant deux heures. On peut arroser d'un peu de vin blanc, mais il faut que l'épaule soit bien dorée à la fin. Après deux heures, enlevez la graisse du plat, et ajoutez un peu de vin blanc et de jus d'orange pour détacher les sucs collés au fond. Remettez l'épaule, baissez le feu de moitié, et remettez encore deux heures, en tournant fréquemment "pour que la viande baigne". Pour que ça ne sèche pas, rajoutez du vin blanc et du jus d'orange, qui va caraméliser. On peut aussi mettre du sirop de cassis, mais surtout jamais d'eau! ("c'est pas intéressant l'eau, ça n'apporte pas de goût!"). En fin de cuisson, pour éviter le déssèchement du dessus, on peut recouvrir le tout d'une feuille d'aluminium. Si tout s'est bien passé, la viande est caramélisée sur le dessus, et l'intérieur est confit, se défait en bouche. Evidemment, il faut de la bonne viande. SI vous décidez d'essayer la recette, demandez conseil au boucher!
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